Le séga est-il érotique? La danse du séga est-elle sensuelle ? Est-ce que par moments ses paroles évoquent-elles des phantasmes sexuels ? Toutes ces questions sont pertinentes lorsqu’on sait que certains compositeurs-interprètes couchent parfois des mots qui suggèrent des gestes sexuels, des attouchements interdits, ou lorsque certaines danseuses, une très infime minorité, revêtent des costumes très suggestives. Dans le reportage qui suit, nous avons donné la parole à certains compositeurs qui s’expriment sur ces questions.
Il y a une quarantaine d’années, le pourtant talentueux Coulouce secouait le landernau du séga avec deux titres aux paroles très évocatrices. Sur une musique presque binaire et contre toute attente, il sortait coup sur coup, ‘sega socola’ et ‘sega goblet’. Les deux morceaux, frappés d’une censure au lendemain de leurs parutions, avaient défrayé la chronique et invité les âmes puritaines à cause de son côté paillard. Que chantait Coulouce ?
Qu’il avait l’envie de mettre la main au ‘chocolat’. Que sa dame avait des ‘bels chouchous’ et de ‘longs longs piquants’. Dans le deuxième morceau, il en rajoutait une couche : Il avait envie de ‘trappe so sou… soulier.’ Et Elle, ‘li trappe mo go… gobelet’.
Il ne fallait pas être grand clerc d'avoué pour décoder les propos de Coulouce, à la grande joie des collégiens et du sourire biaisé des dames. Mais le ségatier n’avait fait que s’engouffrer dans une brèche déjà ouverte par le couple Roger et Marie-Josée Clency, eux-mêmes grands pourfendeurs du purisme. Au même moment, certains ségatiers comme pour faire écho à la parole libertine de leurs confrères, laissaient la voie libre aux déhanchements ultrasensuels de leurs danseuses durant les spectacles.
Est-ce à dire que cette permissivité était généralisée et acceptée par tous les artistes ? Est-ce que mimer l’acte sexuel durant la danse est inhérente au séga ?
Pour Serge Lebrasse, il ne faut pas tomber dans l’amalgame. « Le séga était interdit durant l’esclavage, même dans des années plus proches de nous, les familles dites ‘bourgeoises’ interdisaient l’écoute ou la danse du séga. Sans doute à cause de l’utilisation de la langue créole. Mais, la simulation de l’acte sexuel n’a rien à voir avec le séga.
Durant des spectacles où plusieurs artistes se produisaient, certains d’entre eux, voulaient séduire les spectateurs en demandant à leurs danseuses de découvrir le haut de leurs jambes, voire leurs culottes. C’est comme ça qu’on a eu droit à cette perversion qui aurait pu projeter une image érotique du séga. À un moment donné, il y a eu surenchère de la part de certains ségatiers et on a fini par croire qu’il était normal que les filles soulèvent leurs jupes jusqu’aux cuisses.»
Artiste de réputation internationale, Mario Armel affirme qu’il a toujours exigé que ses danseuses portent des cuissards dès les années 70, au moment où sa popularité était à son apogée.
« Je voulais d’un costume léger mais jamais voyant comme en portaient certaines filles qui étaient encouragées par leurs patrons. J’avais remarqué que les filles qui dansaient le sega traditionnel, portaient des tonnes de tissus et que parfois ces vêtements ne leur permettaient pas une liberté de mouvement pour bien mettre en valeur certains morceaux rythmés.
Et comme je compose toujours avec en tête une chorégraphie précise et bien ordonnancée, je voyais toujours le genre de costumes que je souhaitais pour les danseuses. » Pour Mario Armel, il n’était pas question de promouvoir le séga, ou toute forme de musique mauricienne, en revêtant ses danseuses de jupettes qui s’envolaient au moindre tournoiement. «
C’est une exploitation d’abord de l’image de la femme et ensuite de certaines filles issues des quartiers pauvres. Une fois que vous avez leur adresse, que vous les avez encouragées et qu’elles se sont contentées de leur maigre cachet, il devient aisé de les réembaucher pour d’autres spectacles où elles n’hésiteront pas à montrer encore un peu plus.
Certes, le séga, selon le genre qu’on pratique, a un côté sensuel, de par les déhanchements des danseurs et danseuses, il peut éveiller des phantasmes, mais là n’est pas son but. » Où en est la tendance aujourd’hui et est-on plus scrupuleux quant à la chorégraphie et aux paroles ?
Il est pour le moins difficile de veiller à la tenue vestimentaire des danseuses. Les artistes, dans leur immense majorité, exigent de leurs ‘filles’ d’être correctes sur scène car elles engagent leur propre image, celle de la femme mauricienne et enfin, de l’industrie touristique mauricienne. Pourtant, il y a presque une dizaine d’années, se souvient Mario Armel, durant un spectacle à l'étranger, des danseuses mauriciennes n’avaient pas hésité à porter le string pour danser le séga.
« C’était une bien mauvaise image pour le séga, les filles mauriciennes et l’île Maurice. On pouvait penser que les filles mauriciennes sont légères et chaudes.»
Porte-drapeau de la chanson engagée, avec son frère Nitish, Ram Joganah estime que l’artiste est totalement responsable du comportement vestimentaire de ses danseuses. De son comportement professionnel, tout court. «Lorsque vous engagez des danseuses, quelque soit votre style de séga, c’est à vous l’artiste, l’auteur-compositeur, l’interprète ou l’animateur de leur donner des consignes et de les diriger. Sauf si elles sont des professionnelles jusqu’au bout des doigts, les novices, elles, doivent être gérées. Il faut constamment avoir l’œil sur la manière qu’elles dansent.
On ne peut pas se dire que c’est au spectateur de savoir de tenir, ou de se retenir dès qu’il voit apparaître des sous-vêtements. La danseuse est au service du morceau, elle ne peut pas s’en détacher pour donner libre cours à ses impulsions, même lorsque le public la pousse à bout et réclame plus. À ce moment, ce n’est plus du séga, on tombe dans le voyeurisme. Certaines filles ne s’imaginent pas tout le tort que ce type de comportement fait d’abord à elles-mêmes mais aussi au séga et à l’image de la femme. »
Pour Denis Gaspard, avant chaque représentation, il s’impose une vérification des affaires de ses danseuses. «Je veux voir qu’elles ont bien apporte des bas. Pour celle qui n’en a pas, soit elle ne danse pas, soit elle emprunte une paire à une collègue.
Mais pas question de se dandiner sans ces assortiments. Nous voulons donner du spectacle mais pas être en spectacle. Les filles ne viennent pas pour s’exhiber mais pour offrir le sourire et leur charme. Bien entendu, on ne pas danser le séga à tout âge et il y aussi un esthétisme corporel qui doit prévaloir. Tout le monde ne l’a pas. Ce sont des critères généraux et obligatoires qu’on retrouve partout dans le monde et nous ne pouvons y faire exception. Mais il y a des limites à ne pas dépasser sinon on verse dans l’exhibitionnisme et la vulgarité. »
Coulouce, Jean-Claude, Marie-Josée et Roger Clency et les autres
Personne n’est allée aussi loin que feu Coulouce avec ses deux ségas qui choquèrent la population dans les années 70. Qu’avait-il en tête lorsqu’il écrivit ses paroles paillardes, laissant aux auditeurs le soin de tirer les conclusions en diluant ses propos dans une terminologie anodine ?
L’auteur ne s’est jamais vraiment expliqué sur ses motivations, mais d’autres artistes, à l’instar de Serge Lebrasse, Mario Armel, Denis Gaspard (fils de Jean-Claude) ou Ram Joganah tentent de recentrer l’impact de ces deux morceaux. Serge Lebrasse lui y voyait une tentative de bousculer le train-train du séga, en y jouant de la provocation. Pour Denis Gaspard, il s’agit d’un jeu de mots, qui n’est pas pour les oreilles des innocents. « Je pense que ce type de séga est perçu selon la maturité des auditeurs.
Moi, je n’y verrai aucun problème à reprendre ces morceaux, mais pas devant tout le monde. En tout cas pas en présence de spectateurs venus en famille. » Ram Joganah tient lui un discours sans ambigüité. Le chanteur engagé y voit des paroles irresponsables plaqués sur trois accords et une tentative maladroite de choquer les esprits avec le bas de la ceinture. « Il n’est pas question pour moi de cautionner de tels propos, même si je n’appliquerais pas la guillotine à ces morceaux. À aucun moment et peu importe l’âge des spectateurs, je reprendrais ces chansons. Il est fondamentalement question de la responsabilité de l’artiste. »
Quand Marie-Josée demande à Roger Clency de ne pas toucher à son ‘zoué -zoué’, à quoi fait-elle allusion ? Jean-Claude, père de Denis Gaspard, est passé maître dans l’art du détournement du sens des mots. Il est capable de petites paillardises et des équivoques sans jamais tomber dans la vulgarité. Plusieurs de ses compositions donnent dans le parabole et renvoient à des mains baladeuses mais sans jamais avoir de signification explicite.
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